mercredi 21 janvier 2009

LE JOURNAL INTIME



Savez-vous que le journal intime n'a plus rien à voir avec ceux que vous avez connus étant enfants?

Vous vous rappellez les petits cahiers fleuris, avec une clé et un petit cadenas, et une page pour chaque jour, nous obligeant littéralement à noter nos états d'âmes quotidiennement?

Il n'y avait que les fillettes pour s'adonner à ce passe-temps puéril et enfantin. Les garçon, eux, les lisaient en ricanant.

Bonne nouvelle, le journal intime a lui aussi traversé les années, subissant au passage quelques métamorphoses.
Du journal thérapeutique au journal littéraire, du journal papier au journal en-ligne, le journal intime n'est plus ce qu'il était. Il n'en finit plus de révéler toutes ses facettes
.

Comment définir le journal?


D'abord, un journal, ça s'écrit au fil du temps; c'est très différent de toutes les autobiographies, mémoires, et autres proches parents du genre.

Le mot le dit, le journal est tenu au jour le jour, plus ou moins scrupuleusement, mais il est toujours une espèce de représentation «en direct» de la vie.

Pour ceux que ça intéresse, on appelle quelqu'un qui écrit son journal un «diariste», ou un "intimiste".

Un journal est une longue lettre que l'auteur s'écrit à lui-même, et le plus étonnant est qu'il se donne à lui-même de ses propres nouvelles.




Son contenu


Les termes peuvent également varier avec le contenu. On parlera de journal de voyage, de journal spirituel, de journal de gratitude.

Certains diaristes tiennent jusqu'à quatre ou cinq journaux intimes à la fois parce que chaque journal a sa thématique propre.

L'un d'eux peut être entièrement consacré à leur vie amoureuse, un autre aux rêves qu'ils font durant la nuit, un autre leur sert à raconter leur petit quotidien...

Le style employé peut être très différent d'une personne à l'autre, être littéraire chez l'un, très prosaïque chez l'autre. Les possibilités sont infinies...

Il est évident que le contenu de certains journaux intimes est banal à faire peur; le journal demeure toujours le reflet de celui qui l'entretient et le quotidien a lui aussi sa place dans le journal, malgré l'intérêt limité qu'il suscite.


On raconte que les premiers journaux intimes, du moins ceux qui ressemblent le plus au journal tel qu'on le connaît aujourd'hui, remontent au dixième siècle et nous viennent du Japon. A l'époque, les courtisanes japonaises consignaient dans des petits carnets qu'elles conservaient sous leurs oreilles.
Aujourd'hui, il est publié, lu et relu, tenu par une variété grandissante de diaristes d'un peu partout. On lui reconnaît des vertus thérapeutiques, on l'étudie dans les cours de littérature, les professeurs l'utilisent comme outil pédagogique et les internautes s'en donnent à coeur joie dans leur journaux en-ligne. Les genres littéraires qui peuvent prétendre à des telles modifications au cours des âges et à une telle versatilité sont rares!

Parmi tous les journaux personnels publiés, le plus connu est Le Journal d'Anne Frank. Considéré comme une œuvre majeure, ce journal témoigne de la vie d'une enfant juive pendant la Seconde Guerre Mondiale, contrainte de se cacher dans une annexe d'un immeuble à Amsterdam pour échapper à la déportation.



Quelques diaristes

Samuel Pepys (1633-1703), Bashō (1644-1694), Benjamin Constant (1767–1830),Rahel Varnhagen (1771-1833), Jean-Baptiste Renoyal de Lescouble (1776-1838),Stendhal (1783-1842), Anne Lister (1791-1840), George Sand (1804-1876),Henri-Frédéric Amiel (1821-1881), Lewis Carroll (1832-1898),Léon Bloy (1846-1917), Jules de Goncourt et Edmond de Goncourt (1851-1896), Marie Bashkirtseff (1858-1884), Jules Renard (1864-1910), André Gide (1869-1951), Paul Léautaud (1872-1956),Victor Klemperer (1881-1960),Charles Du Bos (1882-1939), Virginia Woolf (1882-1941),Franz Kafka (1883-1924),Katherine Mansfield (1888-1923),Ernst Jünger (1895-1998), Joseph Goebbels (1897-1945), Mireille Havet (1898-1932), Julien Green (1900-1998), Raymond Queneau (1903-1976), Anaïs Nin (1903-1977), Mihail Sebastian (1907-1945) ,Tereska Torrès (ca. 1921), Hélène Berr (1921-1945) ,Anne Frank (1929-1945), Jean-René Huguenin (1936-1962),Gabriel Matzneff (1936), Pascal Sevran (1945-2008), Renaud Camus (1946), André Blanchard (1951), Hervé Guibert (1955-1991), Marc-Édouard Nabe (1958), Loïc Decrauze (1969).





Extrait de Journal intime









Extrait du journal d'Anne Frank
VENDREDI 9 OCTOBRE 1942
Chère Kitty,
Aujourd’hui, je n’ai que des nouvelles sinistres et déprimantes à te donner. Nos nombreux amis juifs sont emmenés par groupes entiers. La Gestapo ne prend vraiment pas de gants avec ces gens, on les transporte à Westerbork, le grand camp pour juifs en Drenthe, dans des wagons à bestiaux.
Miep nous a parlé de quelqu’un qui s’est échappé de Westerbork. Westerbork doit être épouvantable. On ne donne presque rien à manger aux gens, et encore moins à boire, car ils n’ont de l’eau qu’une heure par jour et un W.C. et un lavabo pour plusieurs milliers de personnes. Ils dorment tous ensemble, hommes, femmes et enfants ; les femmes et les enfants ont souvent la tête rasée. Il est presque impossible de fuir, les gens du camp sont tous marqués par leurs têtes rasées et pour beaucoup aussi par leur physique juif.
S’il se passe déjà des choses aussi affreuses en Hollande, qu’est-ce qui les attend dans les régions lointaines et barbares où on les envoie ? Nous supposons que la plupart se font massacrer. La radio anglaise parle d’asphyxie par les gaz ; c’est peut-être la méthode d’élimination la plus rapide.
Je suis complètement bouleversée. Miep raconte toutes ces horreurs de façon si poignante, elle est elle-même très agitée. L’autre jour, par exemple, une vieille femme juive paralysée était assise devant sa porte, elle attendait la Gestapo qui était allée chercher une voiture pour la transporter. La pauvre vieille était terrifiée par le bruit des tirs qui visaient les avions anglais et les éclairs aveuglants des projecteurs. Pourtant Miep n’a pas osé la faire entrer, personne ne l’aurait fait. Ces messieurs les Allemands ne sont pas avares de punitions.
Bep n’est pas très gaie non plus, son fiancé doit partir en Allemagne. Chaque fois que des avions survolent nos maisons, elle tremble que leur cargaison de bombes, qui va souvent jusqu’à un million de kilos, ne tombe sur la tête de Bertus. Des plaisanteries du genre : il n’en recevra sans doute pas un million et une bombe suffit, me paraissent un peu déplacées. Bertus est loin d’être le seul à partir, tous les jours des trains s’en vont, bondés de jeunes gens. Lorsqu’ils s’arrêtent à une gare en trajet, ils essaient parfois de se glisser hors du train et de se cacher ; un petit nombre d’entre eux y réussit peut-être. Je n’ai pas fini ma complainte. As-tu déjà entendu parler d’otages ? C’est leur dernière trouvaille en fait de punition pour les saboteurs. C’est la chose la plus atroce qu’on puisse imaginer ? Des citoyens innocents et haut placés sont emprisonnés en attendant leur exécution. Si quelqu’un commet un acte de sabotage et que le coupable n’est pas retrouvé, la Gestapo aligne tout bonnement quatre ou cinq de ces otages contre un mur. Souvent, on annonce la mort de ces gens dans le journal. À la suite d’un « accident fatal », c’est ainsi qu’ils qualifient ce crime. Un peuple reluisant, ces Allemands, et dire que j’en fais partie ! Et puis non, il y a longtemps que Hitler a fait de nous des apatrides, et d’ailleurs il n’y a pas de plus grande hostilité au monde qu’entre Allemands et juifs.
Bien à toi,
Anne

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